
Le 18 novembre 2021, un convoi logistique de l’opération Barkhane en partance pour Gao en république du Mali a été bloqué à Kaya à 100 km de Ouagadougou. Après cette ville devenue désormais légendaire, le convoi a été de nouveau bloqué dans d’autres parties du Burkina par des manifestants soupçonnant la France de complicité avec les groupes djihadistes. La goutte qui a fait déborder le vase serait sans doute le drame survenu à INATA faisant plusieurs victimes dans le rang des soldats burkinabè. Raisons possibles : Dysfonctionnement de la logistique ou de la chaine de commandement, une relève non assurée… C’est autant de raisons non encore élucidées et sur lesquelles est revenu le Colonel en retraite le Colonel à la retraite Lona Charles OUATTARA.
Dans cet entretien, il évoque également la restructuration profonde de l’armée à travers de nombreuses mesures fortes et se dit disposé à servir au côté du Président du Faso si toutefois il était sollicité. Voici son analyse :
B7 : Alors actualité oblige, comment expliquez-vous ce manque de coordination au sein de l’armée qui a privé de nourriture aux soldats sur le terrain ?
« Nous nommons aux fonctions de généraux de brigades alors qu’il n’y a pas de brigades. Nous avons des généraux de divisions, alors qu’il n’y a aucune division sur le terrain. Est-ce normal de continuer de nommer aux fonctions d’officier général sans qu’il n’y ait de commandement approprié pour ces responsables militaires ? »
Col. LCO : Rires ! ça peut arriver si la chaine de commandement ne fonctionne pas. Que faut-il entendre par ce dysfonctionnement ? Vous avez un patron de la gendarmerie, un Chef d’Etat Major Général de l’armée de terre, un Chef d’Etat Major Général des armées, un Ministre de la Défense et au-dessus, un Chef suprême des armées. S’il y a dysfonctionnement dans l’un des maillons, on peut arriver à un drame pareil. Le groupement des forces dont relevait ce détachement de INATA en question n’a pas fait son travail. Et s’il n’a pas fait son travail, il doit dépendre d’un chef qui n’est autre que le Chef d’Etat major de l’armée de terre d’abord. Qu’est-ce qui s’est passé pour que cette unité se retrouve toute seule isolée quelque part sans nourriture ? Ce qui veut dire que la chaine logistique ne fonctionne pas. Le commandement ne marche pas et peut-être aussi que la discipline ne marche pas ! Je l’ai dit à maintes reprises et depuis que je suis revenu au pays que notre armée a besoin d’être restructurée. Je suis très content d’entendre un homme politique en l’occurrence Bénéwendé SANKARA proposer la structuration de l’armée. Je l’ai évoqué dans mon livre « La 3ème guerre du Burkina » dans son chapitre, « Les conditions de la victoire ».

Lire : Pourquoi le France éprouve-t-elle des difficultés à vaincre l’ennemi ?
B7 : Avec ce qui s’est passé, on pourrait penser qu’il y a eu des tentatives de détournements dans la chaine. Il y a eu des dotations pour les soldats et quelques galonnés s’en ont accaparé au détriment des soldats. Quel est votre avis ?
Col. LCO : Si le commandement et la discipline fonctionnent, ces cas de corruption ou de détournement n’auraient pas lieu. Dans un bon commandement, il n’ y a pas de détournement ni de militaires corrompus. Le bon commandement permet de donner à chacun ce qu’il mérite.
B7 : Que reprochez-vous à l’armée lorsque vous parliez de restructuration. Est-ce des hommes intègres qui manquent ou une simple question de formation ?
Col. LCO : Ce qui s’est passé à INATA est un problème de commandement parce que dans l’armée, on parle plus de commandement. Les primes sont régulièrement octroyées aux soldats et de manière statutaire. Quand c’est prévu par les textes, le commandement doit œuvrer en sorte que ce soit fait dans la transparence et qu’il n’y ait donc pas d’injustice. Prenons l’exemple des missions de paix à l’étranger. Tout le monde sait que les missions de paix, c’est pour gagner de l’argent, c’est ça ? Ce n’est pas pour être aguerri. J’ai été pendant près de 25 ans responsable des opérations aériennes des Nations Unies dans le cadre des missions de paix. Si le choix des soldats dans les missions de paix sont faits de manière partiale, s’il n’est pas fait de manière juste et équitable, il va sans dire que la corruption va s’installer.
B7 : Au regard de l’actualité dans notre pays, comment voyez-vous la victoire du Burkina dans cette 3ème guerre ?
Col. LCO : Il faudra d’abord que nous nous construisons une dissuasion militaire. La dissuasion militaire peut se construire de plusieurs manières. Je vous en donne un exemple. L’une des manières est d’accroître substantiellement les effectifs actuels de l’armée, c’est-à-dire, passer de 20 000 hommes à 40 000. Créer des grandes unités pour organiser ces 40 000 hommes en ordre de bataille. L’ordre de bataille, c’est quoi ? c’est la création des brigades, de divisons militaires et de corps d’armée. Pour comprendre le problème de notre pays, c’est que nous ne disposons que de 20 000 hommes. Et ces 20 000 hommes sont saucissonnés en petits détachements dans la nature ; d’où le drame de INATA. Pendant ce temps, nous nommons aux fonctions de généraux de brigades alors qu’il n’y a pas de brigades. Nous avons des généraux de divisions, alors qu’il n’y a aucune division sur le terrain. Est-ce normal de continuer de nommer aux fonctions d’officier général sans qu’il n’y ait de commandement approprié pour ces responsables militaires ? Moralité ? ce sont des officiers d’Etat Major conformes. Donc, plus nos gens montent dans la hiérarchie, plus ils deviennent des officiers d’Etat Major. Il n’y a pas de combattants. Et sachez une chose ! Un soldat ne sera d’autant courageux qu’il n’aura devant lui son chef qu’il va suivre. Tant que le chef militaire restera à Ouagadougou et qu’il enverra le soldat loin sur le terrain, rien ne marchera.
B7 : Dans votre livre, vous avez également suggéré un état fédéral; cette proposition est-elle toujours d’actualité ?
Col. LCO : Oui ! je le dis pourquoi ? Parce que le pays est inégalement développé. Si vous êtes à Ouagadougou, tout est rose. Mais si vous êtes dans les périphéries, vous sentez les difficultés. Pas de routes. Les régions qui regorgent des ressources naturelles et des ressources vivrières sont enclavées.
B7 : Que diriez-vous si Rock Marc Christian KABORE vous sollicitait dans le cadre de cette guerre ?
Col. LCO : Alors je vous parlerai franchement ! Le président est le chef suprême des armées, le commandant en Chef. Accepter d’être son conseiller ou d’être à la tête de l’Armée suppose d’abord qu’il accepte un préalable. Avant que je ne lui dise mon « OUI », il faudra que je sois certain que ce que je vais lui demander me sera accordé en termes d’idées. Si je lui propose que nous fassions telles ou telles réformes, il faut qu’il accepte. Mais si je n’ai pas la certitude qu’il acceptera mes propositions, je n’y vais pas.
B7 : Et quel sera votre préalable ?
Col. LCO : Alors si c’était cela votre question, je commencerai par lui demander de :
– Mettre à la retraite tous les officiers généraux,
– Même tabac pour les colonels majors.
– Supprimer le grade de colonel major qui ne sert à rien parce qu’il ne correspond à aucun commandement dans l’armée.
Le régiment est commandé par un Colonel et non un Colonel Major. Et comme le Colonel Major n’est pas un général de brigade, il n’a pas de place. Ces grades sont venus chez nous parce que la carrière des officiers a été mal conduite. Cela est dû principalement au mode d’avancement dans l’armée. Blaise Compaoré a adopté le mode d’avancement au seul mérite. Le mérite, comme son nom l’indique, ça peut être bien si c’est vraiment qualitatif. Mais le mérite est empreint de subjectivité. Ailleurs par contre, l’avancement au mérite existe mais à un haut niveau. C’est-à-dire, quand les gens passent de lieutenant-colonel à Colonel. Quel est le point d’appréciation du mérite ? c’est l’école de guerre. C’est à dire qu’il faut qu’un lieutenant-colonel ou un Commandant ait accompli avec succès ses cours de guerre, qu’il ait son brevet de l’école de guerre. Mais on ne va pas à l’école de guerre comme on le fait au Burkina parce que tous les colonels on peut les envoyer. En France, c’est un concours et ce sont les meilleurs colonels, les meilleurs commandants et les meilleurs lieutenants colonels qui vont à l’école de guerre.
B7 : Mais si vous proposez de mettre à la retraite tous les officiers généraux, et les colonels Majors, qui seront nos références en matière de plan de guerre ?
Col. LCO : Il y a des Colonels parce que les officiers généraux n’ont plus leur place. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas en nommer. Ce sont les colonels qu’il faut promouvoir au grade de Général de brigade, de division pour commander les grandes divisions si on venait en créer.
B7 : Mot de fin sur cette actualité qui s’est déroulée à Kaya et à Ouagadougou ?
Col. LCO : Je pense que nos jeunes se trompent de combat parce que les aînés ou même le gouvernement ne leur explique pas dans quelle situation nous sommes et dans quelle situation, les français se retrouvent ici. Comment les français sont venus au Burkina ? C’est par des accords.
Le second point, c’est que personne ne comprend vraiment cette guerre. Déjà, on n’est pas surpris d’entendre les gens dire que c’est du terrorisme alors que c’est une guerre ; c’est une guerre permanente d’occupation. Si nous, aînés, responsables politiques et autorités n’expliquons pas à la jeunesse que la situation est plus grave que ce qu’elle pense, ce n’est pas en se servant de quelqu’un comme bouc-émissaire, que notre problème sera résolu.
De manière générale, on s’est trompé d’ennemi alors que le vrai ennemi est là.
Et si on pense que ce sont les Français l’ennemi, Il faut convoquer une réunion et re-négocier les termes des accords. Il faut résilier et rien ne nous empêche de le faire. Je suis plus que navré de voir ce qui se passe actuellement.
Par Burkina7Seven